À quelques jours de la fête nationale, ce devrait être le coup de feu pour les artificiers français. Pourtant, malgré la reprise progressive de l’économie, l’activité ne décolle pas. « Depuis le début de l’année, on n’a eu aucun spectacle », se désole Jacques Couturier, président des sociétés Jacques Couturier Organisation et Planète Artifices. « La Fête du citron à Menton, les spectacles au Futuroscope, le Hellfest, le 14 Juillet… On est abonnés au mot annulé. »
Si les mesures sanitaires ont été progressivement allégées, les rassemblements restent strictement encadrés pour éviter la propagation du virus. Un contexte peu propice aux traditionnels spectacles pyrotechniques qui illuminent le ciel pendant l’été, et un coup dur pour un secteur qui ne vit quasiment que de la période estivale.
80 à 90 % du chiffre d’affaires en été
« L’été, c’est 80 à 90 % de nos chiffres d’affaires, dont une bonne partie les 13 et 14 juillet », pointe Jean-Frédéric Dartigue-Peyrou, secrétaire général du Syndicat des fabricants d’explosifs, de pyrotechnie et d’artifices (Sfepa). Les grosses entreprises se sont diversifiées ces dernières années en proposant des spectacles hors saison pour des parcs d’attractions, des festivals ou des événements, mais la fête nationale reste bien le temps fort de l’année pour la profession.
Les artificiers ont bien eu une lueur d’espoir en juin. Le déconfinement se déroulant bien, le gouvernement a finalement permis aux préfets d’autoriser au cas par cas les feux d’artifice le 14 juillet, avec gestes barrières, distanciation physique ou encore port du masque. Mais « il y a eu un coup de frein brutal des préfets », regrette Jean-Frédéric Dartigue-Peyrou. « Les conditions imposées font de toute façon que, même si le préfet n’interdit pas, les maires vont se l’interdire », regrette Jacques Couturier. Entre les mesures sécuritaires depuis les attentats et les mesures sanitaires, l’organisation devient vite lourde pour les communes.
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Sans compter que certains élus attendaient les élections pour passer commande. Entre le report du deuxième tour au 28 juin et l’installation tardive des conseils municipaux élus au premier tour, beaucoup étaient déjà compromises. « On avait l’espoir de faire 20 à 30 % de nos 4 000 feux habituels avec nos partenaires sur les 13 et 14 juillet, mais finalement, on sera plutôt autour des 5 % », soupire Jean-Michel Dambielle, directeur général de Ruggieri, autre poids lourd du secteur.
Charges fixes importantes
Même si les feux n’ont pas été tirés, les artificiers ont dépensé de l’argent pour répondre aux appels d’offres, concevoir les spectacles et avoir les produits en stock. « Certains vont être reportés, donc nos préparations n’auront pas servi à rien », se rassure Jacques Couturier, qui estime tout de même sa perte de chiffre d’affaires à 100 % pour 2020.
Environ 700 à 800 entreprises vivent de la pyrotechnie en France. La plupart ont très peu de salariés à plein de temps mais ont recours à beaucoup de contrats ponctuels et d’intermittents pour préparer les feux et les tirer. Les plus grosses conçoivent des feux sur mesure en direct avec leurs clients, mais aussi un catalogue de spectacles clés en main vendus à de plus petites sociétés. « C’est toute la filière qui ne va pas travailler cette année. On est une grosse société qui appartient à un groupe, donc on est solides, mais les petites structures vont être très touchées », prédit Jean-Michel Dambielle.
« Les charges fixes sont tout de même importantes pour les plus gros d’entre nous, qui ont des stocks à gérer », souligne-t-il. Les sites de stockage des fusées, la plupart du temps classés Seveso, nécessitent du personnel pour l’entretien et la sécurité, qui ne peuvent être mis en chômage partiel, même quand l’activité est à l’arrêt.
« Une atteinte durable » au secteur
Après avoir fait le deuil du 14 juillet, Ruggieri compte sur les parcs de loisirs pour sauver la fin de sa saison. « Le Puy du Fou, rouvert depuis le 11 juin, va reprendre la Cinéscénie le 24 juillet. Ça nous laisse les deux tiers de la saison », se réjouit Jean-Michel Dambielle. À Disneyland Paris en revanche, le spectacle nocturne quotidien dont Ruggieri a la charge ne devrait pas reprendre avant l’automne, malgré la réouverture des parcs le 15 juillet.
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« Cela devrait nous permettre de faire 20 %, peut-être 30 % de notre chiffre d’affaires cette année. » Les artificiers espèrent désormais que la pandémie va ralentir et que l’année prochaine sera meilleure. Mais Jean-Frédéric Dartigue-Peyrou prévient : le contexte « catastrophique » de 2020 pourrait porter un coup fatal aux petites entreprises du secteur. « Ce n’est pas une année noire qu’on risque d’avoir, mais une atteinte durable à l’artifice de divertissement. »