« J’ai plusieurs feux d’artifice prévus dans les prochains jours. Forcément, je vais y penser. La mort d’une gamine, ça fait mal au cœur… » Patrick Lefèvre dirige depuis quatre ans sa société Étoiles d’Artifices, en Ille-et-Vilaine. Mercredi 13 juillet, il assurait le spectacle pyrotechnique dans la commune de Toutlemonde dans le Maine-et-Loire, tout près de Cholet où s’est déroulé un drame le lendemain lors d’un événement similaire.
Un frère de 7 ans et sa sœur de 24 ans ont été tués après un « incident de tir » lors du traditionnel feu d’artifice de la Fête nationale. Un homme de 29 ans a également été gravement brûlé et six autres personnes ont été blessées. Ce vendredi 15 juillet 2022 à midi, personne n’avait été placé en garde à vue.
Basée près de Rennes, c’est la société H.T.P. qui était aux manettes. Une enquête a été ouverte pour homicide involontaire et blessures involontaires. Les investigations porteront sur trois volets : technique, réglementaire et sécurité.
Autant d’aspects que Jacques Couturier, un des poids lourds dans le milieu, maîtrise parfaitement. Son entreprise éponyme, basée près de La Roche-sur-Yon (Vendée), emploie 25 salariés à l’année et mobilise près de 300 personnes autour du 14-Juillet.
La société abrite également un centre de formation pour les professionnels : « Et quand on en enseigne le métier, on insiste sur la sécurité », martèle le Vendéen, qui ne souhaite pas commenter le tragique événement choletais.
Quelles règles doivent respecter les artificiers ?
Du haut de ses 34 ans d’expérience, Jacques Couturier évoque deux règles essentielles pour sécuriser ce type de soirée : « Pour tous les produits qu’on installe sur le terrain, il faut vérifier et revérifier les fixations des feux d’artifice, à plusieurs reprises. Elles évitent aux mortiers de se coucher. » Ce qui permet en théorie d’éviter tout risque pour les spectateurs d’être touchés par des déflagrations.
L’autre règle primordiale, « c’est le respect des distances pour mettre le public en sécurité. Elles sont fixées en fonction du calibre et de la puissance du produit ».
Patrick Lefèvre, l’artificier breton, la résume en ces termes : « Calibre égale distance. Pour une bombe de 75 millimètres par exemple, il y aura une distance de 75 m. Et on rajoute toujours une marge. »
À Cholet, les victimes se trouvaient dans une zone située entre « 30 et 50 m du pas de tir, a précisé en fin de matinée le procureur de la République d’Angers. À notre connaissance, il n’était pas prévu par les artificiers que des personnes se trouvent dans cette zone. La majorité du public était située à 150 mètres et plus. »
Autre règle sur laquelle un artificier ne doit pas transiger : « Il ne faut jamais orienter les mortiers vers le public », alerte Patrick Lefèvre.
Quid de la sécurité des professionnels ? Si l’allumage manuel reste autorisé en France, la grande majorité des artificiers déclenchent leur matériel à distance du champ de tir : « Mais on se trouve à l’intérieur du périmètre de sécurité, pour intervenir en cas de problème, précise le spécialiste breton. Mardi, on a eu des petits départs de feu dans le pré, on a pu les éteindre immédiatement avec des extincteurs. »
Comment fonctionnent ces engins pyrotechniques ?
Pour resituer la dangerosité de ces engins pyrotechniques, Jacques Couturier, ancien enseignant devenu chef d’entreprise, décrypte leur fonctionnement : « Il faut imaginer un verre à pied, illustre-t-il. On va le mettre dans un tube, qu’on appelle le mortier. Le pied du verre, c’est la poudre qui va déflagrer et propulser l’ensemble du projectile – la bombe – à des dizaines de mètres de hauteur. »
Une fois en l’air, « le pied du verre, qui est un repère de poudre, se consume progressivement et va déclencher à l’intérieur de la bombe une charge d’éclatement à l’apogée. Celle-ci va enflammer des étoiles et les disperser. En cas d’humidité, il se peut qu’elle redescende et explose finalement à mi-hauteur, voire au sol. Ces dysfonctionnements se produisent rarement. Mais quand cela arrive, ils restent contenus à l’intérieur du périmètre de sécurité établi. » Plus le calibre est gros, plus la bombe va monter haut dans le ciel. Et plus l’envergure du feu d’artifice sera large.
Existe-t-il différents types de feu d’artifice ?
Oui. Quand il travaille sur des événements, Patrick Lefèvre collabore avec « huit ou dix artificiers, pour le montage ». En revanche, il est le seul habilité à utiliser certaines catégories de produits, comme les ceux « de type F4 » : « Mes collègues peuvent manipuler des produits compacts, des chandelles. Mais, pour les bombes, je suis le seul à pouvoir les installer. Je me charge également de la mise à feu, puisqu’une formation est nécessaire pour être chef de tir. »
Pour ses spectacles pyrotechniques, le Brétillien n’utilise pas « de fusées montées sur des tiges en bois, on a aucune certitude quant à leurs trajectoires lorsqu’on les fait partir. Nous utilisons des compacts, un ensemble d’artifices déjà logé dans des tubes, dans des grosses boîtes. Un seul allumage permet ensuite de faire partir les feux d’artifice, les uns après les autres. »
Il existe également « les bombes, lancées par des mortiers », évoquées plus tôt. « C’est ce qu’il y a de plus dangereux. Si elle me pète dans la main, j’ai tout le bras arraché », illustre le spécialiste.
Est-il possible de stopper un feu d’artifice en cas de problème ?
À Cholet, malgré « l’incident de tir », les organisateurs du feu d’artifice l’ont laissé aller jusqu’à son terme. En cas de problème, il existe un bouton d’urgence permettant au chef de tir de stopper immédiatement la prestation si la situation est jugée trop périlleuse.
La bonne tenue d’un feu d’artifice peut également être compromise par des conditions météo défavorables. « Dans ce cas-là, on ne tire pas, insiste Jacques Couturier. La sécurité du public est la chose la plus importante. On va se faire engueuler ou insulter par les spectateurs, mais la vie continue. Rater un feu d’artifice, ce n’est pas grave. Du moment qu’on a fait de mal à personne. »