Tous les ans au même moment, c’est le coup de feu chez Ruggieri, le leader français de la pyrotechnie (plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) et l’une des quatre plus grandes entreprises mondiales de ce secteur qui « pète le feu ». « Ce soir du 14 juillet 2016, je serai dans la régie de notre feu de Carcassonne, car ce sera notre plus gros chantier de la soirée avec 700 000 spectateurs attendus et, car je tiens aussi à accompagner l’un des plus anciens artificiers de la maison qui va prendre sa retraite », raconte Jean-Michel Dambielle, le directeur général de cette entreprise vieille de 250 ans.
Après avoir été créée par les frères Ruggieri, spécialistes français de la pyrotechnie qui ont été les premiers à savoir colorer les explosions de poudre noire au 19e siècle, l’entreprise a connu plusieurs actionnaires dont le groupe Suez au 20e siècle et plus récemment le groupe Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière. En 1997, Ruggieri a été absorbée par l’un de ses concurrents, le groupe Etienne Lacroix. Depuis les années 2000, ce fleuron de l’économie française a été contraint, comme l’ensemble de ses concurrents, de délocaliser la plus grande partie de la production industrielle de ses fusées, au pays qui a vu naître les feux d’artifice : la Chine. En revanche Ruggieri a fortement développé toute la partie artistique et la conception globale des spectacles en mettant en avant sa marque (la seule à bénéficier d’une telle notoriété dans ce métier) afin de rassurer les clients sur les aspects liés à la sécurité et à la qualité. Une stratégie qui lui a permis de conquérir des nouveaux marchés à l’étranger ou Ruggieri réalise aujourd’hui 70% de son chiffre d’affaires, avec la conception de spectacles hauts en couleurs tels l’illumination de la tour Burj Al Arab à Dubaï.
Plusieurs dizaines de millions d’euros brûlés en un soir
Cette année, le soir de la fête nationale, la maison est présente dans plus de 4000 feux lancés en France, en tant que fournisseur mais aussi en tant qu’opérateur et concepteur pour les spectacles les plus importants avec 200 techniciens présents sur le terrain. Les habitants de Bordeaux, Nice, Biarritz, Toulouse vont apprécier ses pyrotechnies. Au total, on estime que les collectivités françaises auront dépensé, en une soirée, plusieurs dizaines de millions d’euros en spectacles pyrotechniques. La fourchette est large entre la petite commune qui va dépenser un budget de 1500 euros pour une pyrotechnie tirée par l’employé municipal, et le grand spectacle conçu par le directeur artistique de la maison, David Proteau (l’une des stars de la profession) et tiré par plusieurs artificiers professionnels et facturé aux alentours de 500 000 euros. Cela peut paraître futile en période de crise mais il s’agit de spectacles gratuits bénéficiant à la quasi-totalité de la population. « Nous avons un coût par spectateur inférieur à un euro partout où nous sommes présents », assure Jean-Michel Dambielle.
Les feux d’artifice sont maintenant conçus comme des spectacles complets avec un thème central et une bande sonore qui accentue les effets artistiques, spectaculaires et poétiques. Ce qui suscite l’émotion chez les spectateurs c’est l’effet de surprise que nous tentons d’insérer au maximum dans nos spectacles par les explosions, les bandes sonores et la débauche de lumière.
A titre d’exemple, cette année, le spectacle de Carcassone a pour thème les joyaux et pierres précieuses et celui de Toulouse les dessins animés. Parmi les « tubes » de l’été utilisés pour accompagner ces explosions de lumière, les experts citent les musiques de film et en particulier la bande originale de « Pirates des Caraïbes ».
Ecrire avec des fusées
Son antériorité et les moyens qu’elle consacre à la recherche et au développement permettent à l’entreprise française d’avoir une longueur d’avance par rapport à ses concurrents. Ainsi, elle a été la première à maîtriser l’écriture avec les fusées, en inscrivant un grand « 2000 », dans le ciel lors du changement de millénaire. Elle est capable aujourd’hui de concevoir des messages personnalisés, ou de colorer l’horizon couleur or. Très spectaculaire !
Seule ombre au tableau, l’entreprise Ruggieri dont le siège est près de Toulouse, n’a pas obtenu cette année LE contrat du spectacle de la Tour Eiffel à Paris, l’un des plus gros marchés publics en France avec celui du lac d’Annecy organisé tous les ans au début du mois d’aout. Mais c’est elle qui met le feu tous les soirs de l’été dans le parc Disneyland et à la Cinéscénie du Puy du Fou.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’ennemie des artificiers n’est pas la pluie, qui n’empêche pas les fusées de s’envoler, tout au plus génère-t-elle plus de fumée. Non, c’est le vent qui inquiète le plus les professionnels, car il pose de graves problèmes de sécurité. A tel point que l’on annule tout s’il dépasse les 54 km/h. Ce qui risque être le cas cette année dans la vallée du Rhône. « On regarde la météo avec anxiété », assure Jean-Marc Dambielle. Rien de grave pour l’entreprise et ses clients car ce risque est prévu dans les polices d’assurance et fait partie du modèle économique de la profession. En revanche, il n’existe pas grand-chose d’aussi triste que d’observer les regards déçus des enfants privés de feux d’artifice un soir de 14 juillet, une hypothèse qui refroidit d’emblée les plus fiévreux des artificiers.