Quand Sylvain Freiholz a quelque chose sur le cœur, il le fait savoir. Mardi soir, à l’issue d’un entraînement de ski de fond avec des jeunes, le médaillé des Mondiaux de saut à skis de 1997 s’est fendu d’un coup de gueule sur le réseau social Facebook. «Allo, ici la lune? Eh non, je suis sur le «site» de ski de fond des Jeux olympiques de la jeunesse, a-t-il écrit. Comme convenu avec nos autorités, notre Canton et l’organisateur, il ne reste aucune trace de cet événement, quelques semaines après…» Le Combier manie même l’humour: «Comme prévu, la page est tournée, il ne reste plus qu’à trouver quelques bénévoles pour remettre les plus gros cailloux dans les pâturages.»
La photo illustrant le texte montre une grande étendue blanche avec un groupe d’enfants au loin. Nous sommes aux Grandes-Roches. Difficile de concevoir qu’en janvier, des milliers de spectateurs se trouvaient sur ces lieux. Là même où étaient disposés une tribune, des vestiaires, des toilettes, un restaurant, une aire de départ et d’arrivée ainsi qu’une piste de ski.
Dans son courroux, Sylvain Freiholz dénonce l’occasion gâchée de pérenniser la pratique du ski de fond à la vallée de Joux. «On vit le syndrome du feu d’artifice, se désole ce défenseur du sport. On a eu une belle fête pendant quelques jours, mais concrètement, qu’en reste-t-il? De belles images et quelques drapeaux dans des cartons. J’ai croisé des personnes qui pleuraient aux Grandes-Roches, la semaine après les Jeux. Elles disaient: «Mais ce n’est pas possible qu’il ne reste rien.» En fait, ça a été prévu comme cela. Et cautionné. Pourtant, au début du projet, on a vendu l’esprit nordique de la vallée de Joux, le ski de fond, cette vision des pays scandinaves.»
Une Belle au bois dormant
L’amertume est perceptible chez ce père de famille qui aurait voulu que ces Jeux laissent un héritage à ses enfants. «Les Jeux olympiques de la jeunesse ont été construits à la va-vite car le temps était compté, reprend-il. Il fallait réaliser les infrastructures dans un laps de temps minime. Il y avait de grosses contraintes. On n’a pas eu le temps de bien réfléchir, de trouver des compromis avec les écolos et tous ceux qui pouvaient s’opposer à ce projet. Dans le fond, cela arrangeait tout le monde de faire du jetable. Avec un minimum d’autorisations et peu d’impact, de façon à tourner très facilement la page. Aujourd’hui, on ne parle plus de la pérennisation, alors qu’il s’agissait d’une des plus belles dynamiques de ces Jeux. On n’a pas réussi à relever ce défi. On l’a biffé en cours de route.»
Loin d’être naïf, Sylvain Freiholz ne croit plus à la création d’un centre nordique à la vallée de Joux. «Je suis convaincu qu’on n’y arrivera pas. J’ai eu la chance d’avoir vécu plusieurs Jeux olympiques et d’autres événements incroyables. Je sais très bien qu’une fois que l’interrupteur est mis sur off, tout devient plus compliqué. On n’a plus de budget, ni de dynamique ni de vision dans le temps. Avec l’arrivée du coronavirus, l’intérêt prioritaire de nos politiques n’est plus au sport. J’ai peur qu’on referme le livre des JOJ et qu’on le remette dans la bibliothèque.» Et le médaillé de bronze de Trondheim de tenter la métaphore: «On sent que ça va se rendormir. C’est un peu la Belle au bois dormant. Elle est sur son lit et, gentiment, elle va se mettre à dormir profondément. Et on aura de la peine à la réveiller.»
Le sportif de 45 ans en veut au système. «Notre administration est devenue lourde et guidée par des bobos, qui sont de gentils bureaucrates de la ville n’ayant plus grand-chose à voir avec le terrain. Que ce soit dans l’écologie ou dans l’économie, on n’est pas bons. Ce qui est frustrant, c’est de voir le soutien important de Swiss Olympic. Il y a une volonté de pérenniser le ski nordique sur le plan national. Mais je n’ai pas l’impression que le Canton soit conscient de l’importance d’avoir des sites d’entraînement et de pouvoir pratiquer le ski de fond l’été. À la Vallée, nous n’avons pas le droit de pratiquer le ski à roulettes sur les routes. Et il n’y a pas de pistes ou de routes utilisables pour le faire. On espérait, avec la tenue des JOJ, pouvoir fermer un kilomètre de route et le dédier au ski à roulettes de juin à septembre. On n’arrive même pas à faire ça.»
Sylvain Freiholz en veut également à ceux qui ne permettent pas d’instaurer un dialogue constructif. «Le projet de base avait été construit sur des concepts écoresponsables. La zone dans laquelle le stade de ski de fond a été construit était une ancienne place de tir militaire où les gens tiraient avec des mitrailleuses. Une place dont les sols doivent contenir du plomb, du cuivre, du fer et d’autres métaux.
Impossible dialogue
»Quand on demandait de pouvoir pérenniser ces infrastructures, l’idée était qu’il puisse y avoir un bout de piste de ski à roulettes, un éclairage pour les mois d’hiver. On parlait de créer un bandeau de bitume, là où il y a déjà une route et où il y avait autrefois une place militaire. L’impact sur la nature serait minime. Il permettrait en revanche de valoriser cet endroit et de travailler sur de petits pôles de biodiversité dans ce parc.»
«À l’heure actuelle, on nous dit juste «non». On ne peut pas discuter avec le Département de l’environnement. Et c’est impossible de dialoguer avec Pro Natura. Et c’est ça le plus difficile à admettre. Par principe, c’est non. Pourquoi ne pas trouver un moyen de satisfaire tout le monde? Il y a énormément de synergies à trouver entre la mise en valeur de la nature et des stades de ski nordique.»
Créé: 05.03.2020, 20h29